A notre retour sur Papeete, nous nous dirigeons vers le port industriel. C'est là que nous trouvons notre bateau suivant, un cargo qui prend aussi quelques passagers sur son pont, le Havaikinui. Il dessert Raiatea, Euahiné et Bora Bora. Embarquement à 16h et arrivée sur Raiatea à 4h du matin, les yeux qui collent mais la traversée s'est bien passée. La mer était tranquille et le vent nous a bien rafraîchit. A part l'odeur de frites émanant de la cheminée de la cuisine qui me donnait l'impression de dormir dans la friture, c'était parfait !


Nous débarquons donc sur une Raiatea endormie avec un weekend devant nous avant de commencer notre woofing à la ferme de Vaihuti Fresh. Nous nous installons dans une sorte de parc au bord de la mer et sortons les matelas pour finir notre nuit. Le vigile nous voit bien mais nous laisser tranquille. Quand le soleil se lève, il vient nous réveiller et nous remballons nos matelas pour nous diriger vers le seul endroit ouvert, une brasserie, où nous mangeons un petit déjeuner qui nous remet les yeux en face des trous pour le reste de la journée. Uturoa est une petite ville, un village plutôt par sa taille mais en tant que ville principale de l'île, elle concentre les plus gros supermarchés, quelques restaurants et des magasins en tout genre ainsi qu'une école et des bâtiments administratifs.  



Nous prenons deux jours de repos avant de commencer le boulot. Nous les passons dans le sud-est de l'île, non loin du marae taputapuatea lieu ancestral de la culture des Iles sous le vent et à présent classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. C'est aussi dans ce coin qu'on trouve la seule plage de l'île. Tout le monde va plutôt se baigner et pêcher aux multiples motus ou depuis les divers pontons autour de l'île. Pour y arriver, nous prenons le « truck », un bus avec des bancs sur sa longueur, très ouvert, qui se remplit petit à petit et ne part finalement qu'une heure après notre arrivée (à l'heure présumée du départ), fait plusieurs fois le tour du village pour récupérer des gens et nous emmène doucement vers notre destination. Il y a des arrêts pour faire descendre des passagers, d'autres pour des gens qui font des courses puis remontent. Tout le monde se parle, on nous parle aussi, on nous fait goûter des trucs et on nous donne des bons plans. Finalement, on met environ 3h depuis notre montée dans le bus à notre arrivée à destination à PK32, pour faire une trentaine de km donc mais c'est une super expérience qui nous met le sourire aux lèvres.  


Nous commençons par camper une nuit. Mauvaise idée ! La chaleur intense ne permet pas à la nuit de se rafraîchir et nos matelas en plastoc nous collent à la peau, on ne peut pas ouvrir entièrement non plus à cause des moustiques virulents. Heureusement, notre camping est aussi une pension avec des bungalows à louer. La deuxième nuit se passera en bungalow fermé par des moustiquaires et sous un ventilo, on respire. Nous mangeons le soir à la roulotte du coin, ce sera sashimi de thon rouge ou thon cru au lait de coco ou un poisson grillé, c'est tellement bon tous ces poissons du coin, on en profite avec délectation !


Lundi nous retrouvons Thierry de la ferme Vaihuti Fresh qui nous y emmène. Thierry c'est le boss de la ferme. Anciennement océanographe, il a basculé tout naturellement dans l'agriculture bio quand il a constaté l'effet de la pollution humaine sur les coraux. En chemin, il nous raconte un peu la ferme, 3ha cultivés avec pas mal de serres, une équipe de 6 travailleurs et une assistante, trois associés. C'est une grosse affaire et tout ça en bio dans un climat chaud et humide propice à toutes les maladies fongiques des plantes, chapeau ! Plusieurs semaines pour découvrir cet incroyable projet qui tourne et produit des légumes bios pour la région. Plus sur la ferme ICI.  

Une expérience édifiante pour Thomas qui lui permet d'apprendre tout un tas de gestes de maraîcher comme planter, préparer une planche, tailler certains légumes, récolter, laver, peser, empaqueter, semer un peu et surtout affronter la chaleur et l'humidité terrible sous les serres l'après-midi. Une expérience géniale aussi pour moi qui me permet de me replonger dans le maraîchage à fond et avec plaisir, malgré des conditions très dures, chaleur, humidité aussi et moustiques surtout donc travail en manches longues et pantalons, ce qui ne rend pas les choses plus faciles. Tom en ressort le dos endurci et des kilos d'eau perdue et j'ai pu éprouver les limites de ma résistance et même un peu pousser au-delà.


L'équipe des travailleurs est géniale. Ils sont tous tahitiens et on apprend des mots de la langue et un aperçu de leur quotidien. Ah la vie sur la ferme n'est pas toute rose bien sûr, et ces Tahitiens là ne sont pas tous des communicateurs nés alors parfois ça coince et il faut remettre les choses à plat. Heureusement Thierry avec son naturel calme et posé, et Paul son associé à l'énergie communicative, veillent au grain et s'assurent de tirer les vers du nez à tout le monde et prendre ensuite les mesures qu'il faut pour continuer à s'améliorer. Cela fait trois ans que la ferme existe mais elle continue de progresser et grandir et il y a encore plein de projets à venir alors faire tourner l'équipe est essentiel.  


Parmi les travailleurs, Ariihau a commencé en même temps que nous, d'ailleurs on était sur le même bateau à l'arrivée ! Comme sa famille habite en ville ou sur Tahaa (une île voisine), il dort sur place comme nous. Il a 24 ans. On s'entend très bien et on passe des soirées à papoter et rigoler dans la grange où nous dormons ouverte sur la nuit étoilée de Raiatea, l'île sacrée. C'est un enfant du fenua mais il a passé son adolescence avec son père à Toulon en métropole. Nostalgique de sa culture et de sa terre d'origine, il y est revenu à 19 ans et depuis semble couler des jours beaucoup plus heureux.  


On découvre ensemble la ferme et la dynamique de l'équipe, ce qui resserre d'autant les liens. Il nous apprend des mots, comment manger certains trucs, à reconnaître certaines plantes et nous l'écoutons avec joie quand il s'empare de son yukulélé pour pratiquer. Nous on lui raconte les autres fermes qu'on a vu, les techniques rencontrés, ce qu'on voudrait faire en rentrant, ça l'intéresse puisqu'il découvre ici sa première ferme productive et apprécie donc les points de comparaison.

Thierry nous demande en plus d'observer la ferme et faire des suggestions pour améliorer les choses en fonction de ce qu'on a pu voir avant dans d'autres fermes et avec ma formation de maraîchage. Du coup, ça alimente pas mal nos discussions du soir aussi et on se passionne à imaginer tout ce qui pourrait être fait, du plus simple au moins réalisable. On ne lui présentera que ce qui nous semble le plus réaliste et utile bien sûr. 

Pendant ce temps, Tom pratique donc le maraîchage bio et apprend ainsi des gestes techniques qui se normalisent rapidement, on découvre aussi une nouvelle manière de planter les tomates, on en apprend un peu la gestion de l'irrigation ici et sur la façon de tailler les aubergines ou d'accrocher les tomates. Chaque ferme a ses particularités et ses façons de faire pour chaque légume, j'adore les découvrir et ainsi augmenter notre éventail des possibles pour notre futur projet.

Il n'y a pas une bonne ou une mauvaise manière, juste des façons différentes très dépendantes du matériel présent sur place, de l'accessibilité de celui-ci ainsi bien sûr que du climat, de la terre et de l'organisation de la ferme. C'est fou comme on retrouve la diversité en bio, non seulement dans la vie du sol mais également dans les manières de faire, toute cette diversité foisonne d'idées et d'innovations, de la petite à la grande pour produire un paysage agricole dynamique et évolutif. J'ai l'impression que c'est ce qui arrive quand on se lance en maraîchage bio avec l'idée de faire mieux pour soi, pour les autres et pour la planète, ça motive à trouver des solutions et donc à innover ! 


Thomas retrouve aussi Sylvain, un ami d'enfance avec qui il jouait au tennis et qui habite maintenant Raiatea d'où il dirige la base de Trade Winds, une entreprise qui fait des croisières de loisirs sur des catamarans. Malgré le temps passé, ils cliquent tout de suite et on passe de très bons moments ensemble. Sylvain nous amène à une soirée chez des amis, c'est très sympa mais à 22h on part carrément dormir dans la voiture en attendant de rentrer parce que le rythme à la ferme c'est 6h30 – 21h grand max, et là c'est déjà une longue soirée ! 

Laura sa copine est une jeune femme pétillante de joie qui travaille à l'hôpital de Uturoa, on fait sa connaissance avec plaisir ! Pendant le weekend, quand nous ne les voyons pas, nous sommes en vadrouille à Tahaa où on se fait un petit plaisir dans une pension familiale, Ti Taina, et allons nager dans le plus beau jardin de corail que nous avons vu jusque là (quoique celui du motu à côté de Moorea se défend bien aussi). Sinon Paul, l'associé de Thierry, nous prête carrément une maison le temps d'un weekend, proche de la ville, ce qui nous permet de sortir un peu de la ferme. C'est super sympa ! Entre lui et Thierry qui nous a prêté une voiture car il est content de nous à la ferme, on est vraiment gâté !



Petite apparté sur le surf à Raiatea

Paul et Thierry sont liés par le surf. C'est une activité essentielle sur l'île et Paul nous raconte un peu le milieu du surf. Les vagues à Raiatea sont farouchement protégées par les surfeurs locaux. Tout le monde est le bienvenu du moment que tu respectes l'étiquette. Pas compliqué, juste dire bonjour et attendre ton tour pour profiter de la vague, que tu sois bon ou pas, comme ça tout le monde peut progresser et profiter des vagues. Il est aussi interdit de filmer les surfeurs car dans cette société capitaliste, les photos des surfeurs terminent sur des magazines ou dans des pubs sans que ceux-ci ne voient passer un kopeck. Une célèbre marque de soda ultra-énergisant (et qui vous file des attaques cardiaques et rend les gens obèses) a bien essayé d'organiser une compétition là-bas qui aurait fait sortir ces vagues de l'inconnu pour les propulser sur la scène des compétitions de surf. Après une farouche opposition, ils sont parvenus à obtenir un spot, mais seulement à la date où la vague serait bien. Occupés ailleurs, l'équipe de tournage n'a pu se rendre à temps sur place alors que le swell était là. Terminé, les surfeurs leur ont dit qu'ils avaient eu leur chance, le contrat était conclus. Les vagues de Raiatea sont ainsi restées protégées et la communauté des surfeurs conserve l'esprit du surf qui a disparu déjà sur bien des vagues célèbres autour du monde, polluée par des surfeurs arrogants qui volent les vagues aux autres sans dire bonjour. Du coup, on a croisé des gens plus tard qui nous ont dit qu'il n'y avait pas de vagues à Raiatea, forcément vu qu'elles ne sont pas connues, pourtant elles sont superbes et souvent là. Apparemment, il y a même des vagues dans un certain sens qui seraient assez rares mais bon je ne peux pas vous en dire plus. Et c'est tant mieux !


Quand arrivent les Jujus, Justine et Jules, qui viennent woofer un petit mois pendant leur tour des îles de la Polynésie Française avant de s'installer à Tahiti, c'est la fête. Notre petit groupe vivant dans la grange s'agrandit et on se lance dans un défi de « dîner presque parfait » avec les moyens du bord pour stimuler notre inventivité culinaire. Et ça marche ! On passe une semaine à manger plein de bonnes choses, même le premier repas fait totalement à l'arrache par un Ariihau fatigué d'un weekend passé à bronzer sur le motu est réussi. Des aubergines façon tempura ! Miam ! Ici on mange des aubergines et des concombres, des haricots rouges ou pois cassés, le tout avec du riz et une sauce, tous les jours alors préparer ces ingrédients différemment chaque jour, deux fois par jour, est un véritable challenge. Lequel est plutôt bien réussi par les cuisiniers du midi et carrément à un autre niveau les soirs de « dîner presque parfait ». On note, on commente, on se marre comme des baleines.  


petite excursion à Tahaa en amoureux


On fait des virées dans l'île ensemble et on visite notamment le marae taputapuatea, site classé à l'unesco. Ce serait de là que sont parties toutes les pirogues qui ont peuplé les îles pacifiques. C'est assez impressionnant, surtout vue de haut avec tout le lagon autour. Le chemin pour monter n'est pas encore ouvert au public mais on trouve l'entrée et on se faufile discrètement.  


Un de ces soirs de supers couchers de soleil, on pose pour une photo sur un ponton. Nos silhouettes agrandies par l'angle de la photo nous font l'effet d'un groupe de rap. Ok alors mais un groupe de rap sans musique et clip, c'est pas vraiment un groupe. Qu'à cela ne tienne ! Ariihau joue du yukulele et à tous, on va bien arriver à faire une chanson. Comme on est à Vaihuti Fresh, c'est tout naturellement une chanson sur la plantation qui nous vient. Les paroles sont trouvées en quelques jours pendant lesquels on fredonne à saturation la même chanson à chaque instant. Ariihau pratique les accords, je place les paroles sur son rythme pour en faire un tout qui marche et Tom chasse les images pour illustrer notre propos alors que les Jujus se prêtent au jeu malgré leurs affirmations de ne pas savoir chanter (ok on les croit maintenant, hihi).  



Ca donne ca, projeté lors de notre dernier jour sur la ferme à tout le monde accompagné d'un petit gâteau banane caramélisé. Franchement, c'est le cœur serré qu'on quitte la ferme. Thierry est un chouette type et on espère carrément le revoir, l'équipe toute entière est géniale, on part avec des souvenirs plein la tête. On dit « à bientôt » aux Jujus qu'on reverra sur Tahiti et on croise les doigts pour revoir Ariihau un jour en métropole, sinon on reviendra. On lit beaucoup dans la littérature qu'il y a une douceur et une joie dans la vie polynésienne, ce n'est pas qu'une tournure de phrase, c'est concret et réel et nous l'avons ressenti intensément durant ce temps passé sur l'île sacrée, Raiatea.


Vidéos techniques réalisées sur le lieu:


Engrais et Papaye avec Paul


La préparation du thé de compost et la lactofermentation avec Thierry


Comment faire son compost au fish avec Taniera